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FAIRE PASSER LA VIE A TRAVERS SOI
25 décembre 2002

Vanuatu : long graon yumi stanap



Nous voilà « rentrés » dans ce pays et celui-ci semble riche de mille possibilités d’épanouissement. La petite maison que nous avons trouvée à deux pas du lagon turquoise étire nonchalamment ses frangipaniers, pandanus et autres manguiers aux chants des guecos malicieux et des merles des molluques. Ce qui frappe ici d’emblée c’est le visage souriant de tout un peuple tendu dans la joie de vivre et le bonheur de l’instant perçant d’un glaive salutaire le gris et l’indifférence que nous prenons souvent pour seul horizon. C’en est presque à croire qu’ils travaillent tous comme agents d’accueil à l’office du tourisme. Vanuatu : « le pays qui se tient debout » ne tient pas rigueur aux enfants des colons des exactions commises et le sanglot de l’homme blanc se fait ici beaucoup plus léger. La face lumineuse de l’acculturation commence à faire effet et nous nous mettons doucement mais sûrement à ce pidgin english local mâtiné de français et d’espagnol : le bislama. Déjà des images fortes et des souvenirs impérissables : une partie de pêche en mer (cf pièce jointe) et une plongée sur l’îlot d’Hideway. Hideway est au premier abord une petite île sans rien d’extraordinaire pour ici, mais sous la surface de l’eau vous pénétrez subitement dans un aquarium tropical géant et alors poissons clown, poissons perroquets, poissons scorpions et des milliers d’autres vont racontent à leur rythme et par le menu leur histoire sousmarine et voluptueusement silencieuse.

Les projets maintenant : Nous partons cette fin de semaine pour la première fois dans une île au nord de Vaté (celle où se trouve la capitale) où il y a des volcans en activité (« Ne quittez pas Port Vila sans être allés au Vanuatu » c’est le slogan bien senti de la compagnie aérienne locale) et Noël verra les deux pauvres petits expatriés recueillis par la communauté wallisienne (Wallis et Futuna) de l’île à Forari, haut-lieu de la production de Coprah qui fut pendant longtemps la première richesse du Vanuatu. Nous avons également décidé de passer notre padi (diplôme de plongée sousmarine) et irons très certainement visiter la Nouvelle Calédonie au mois de janvier.

Beaucoup d'autres choses à vous raconter avec du suspense, de l’émotion, de l’amour et du rire (initiation au Kava dans le Nakamal, le noël de l’Ambassade (avec Nico dans le rôle de devinez qui ?), partie de pétanque avec les Nivanuatus…) toutes ces choses et bien d’autres dans le prochain épisode de « Nico et Alice au bout du monde ».

Nous pensons bien sûr très fortement à vous et masquons difficilement derrière cette frénésie d’activités autant de tentatives désespérées d’oublier la tristesse et le déchirement de ne pouvoir être avec vous en ces temps de fête et de communion avec les êtres chers (sans parler des huîtres ni de la dinde).


Le petit Nicolas à la pêche

Aujourd’hui je suis allé à la pêche et c’était terrible ! Chez moi les copains ils pêchent dans des petits étangs alors quand je vais leur raconter ça ils vont être verts les copains ! Là c’était un étang tellement grand qu’on n’en voyait pas les bords, l’étang du Pacifique qu’il s’appelle et les étangs des copains à côté ben on dirait des flaques ! Et même s’ils veulent me mettre des baffes, je leur dirai quand même aux copains quand je rentrerai.

Je me suis levé à trois heures du matin, un monsieur est passé me chercher à la maison. Il a une grosse voiture avec des cannes à pêche attachées devant. On est parti avec le monsieur et sa voiture chercher le bateau. Un chouette bateau tout en aluminium avec même un petit toit pour quand il pleut. On a attaché le bateau derrière la voiture et puis on est parti à la mer. Ah oui sur le chemin on a écrasé un chat mais sans faire exprès. Arrivés à la mer, quelqu’un nous attendait, il est du coin, il s’appelle Patou et il est drôlement chouette. Moi j’avais pris des bananes pour le coup où j’aurais faim mais Patou il disait comme ça que si je prenais les bananes avec moi sur le bateau, on n'allait rien attraper comme poisson alors je les ai laissées dans la voiture. Je les mangerai au retour. Si jamais on revient. Mais Adrien –c’est le nom du monsieur- m’a dit qu’il y avait des gilets de sauvetage et tout un tas de machines terribles pour pas qu’on se perde et qu’on n’avait rien à craindre, à part les requins. Moi, les requins ça me fait pas peur et s’il y en a un qui s’approche bing ! je lui mets une claque sur le nez.

Alors, même qu’il faisait encore nuit, on est parti avec le bateau, moi, Patou et Adrien. Après quelque temps, on est arrivé à un endroit où il y avait plusieurs bateaux qui tournaient en rond autour d’une grosse bouée avec un drapeau planté au milieu. Il y avait plusieurs barques et puis aussi un grand bateau très chouette avec des cannes à pêche qui dépassaient de partout. Sur le bateau il y avait des bonhommes qui mâchaient du chewing-gum sans chemise avec des casquettes et des lunettes de soleil. Adrien nous a donnés des lignes pour pêcher à Patou et à moi mais pas de cannes à pêche. Alors moi j’ai dit que c’était pas juste, que je voulais une canne à pêche et que puisque c’était comme ça j’allais partir très loin et qu’on me reverrait plus jamais. Mais comme j’étais sur un bateau au milieu de l’étang du Pacifique je me suis assis et j’ai fait comme Adrien a dit. Il nous a dit comme ça qu’il fallait lancer les lignes dans l’eau et en tenir un bout. Et dès que la ligne se tendait c’est qu’un poisson mordait à l’autre bout alors on devait tirer très fort et très vite pour ramener le poisson, des Bonites que ça s’appelle. Il a dit aussi qu’il ne fallait pas mettre la ligne autour des mains ou des pieds à cause des requins. Moi d’abord, j’ai pas compris mais j’ai fait comme il a dit. Heureusement parce que juste après un poisson a mordu au bout de ma ligne alors là j’ai tiré drôlement vite et drôlement fort et puis tout d’un coup la ligne s’est tendue encore plus fort, tellement fort que j’ai pas pu la retenir et j’ai bien fait parce que la ligne a cassé et tout est parti dans la mer : l’hameçon, l’appât et la ligne, trente mètres qu’il y avait ! Adrien m’a dit que c’était un requin qui avait attrapé le poisson que j’avais attrapé et qu’il avait tout arraché. C’est drôlement fort un requin !

Moi j’étais un peu triste parce que c’était mon premier poisson et qu’il n’y avait pas de ligne de rechange et puis surtout parce que pendant ce temps-là Patou, il en pêchait plein des Bonites comme ils disent. Mais ça ne me dérangeait pas vraiment parce que Patou c’est un bon copain. Le gros bateau très chouette il passait souvent tout près de nous et ça faisait des vagues terribles, même qu’une fois, ils ont emmêlé nos fils de pêche et Patou et Adrien, ça ne leur a pas fait plaisir. Ils étaient pas contents, même pas contents du tout ! Et puis tout d’un coup la ligne de la canne à pêche d’Adrien s’est mise à filer très vite. Alors il s’est assis à l’arrière du bateau. Il y avait des grosses gouttes qui coulaient sur son front et sa canne a pêche était toute tordue. Après quelque temps on a vu un poisson terrible près du bateau, il était très gros et tout jaune sur le dessus. Adrien a fini par le sortir de l’eau, il est drôlement fort Adrien ! Le gros poisson c’était un thon, c’est le même poisson avec lequel on fait les boîtes pour manger. Moi j’en avais jamais vu mais maintenant je comprends pourquoi il y a autant de boîtes dans les magasins parce que déjà avec un seul poisson on peut en faire plein des boîtes. On pourrait même en faire des plus grosses si on voulait. Après, c’est ma ligne à moi qui s’est mise à filer alors j’ai pris la canne et j’ai tiré dessus et au bout de la ligne, c’était une chouette Bonite avec des tas de tâches violettes sur le dos. Comme il lui manquait des bouts Adrien m’a expliqué que c’était des petits requins qui lui avait enlevés, des cookie sharks, comme les gâteaux, que ça s’appelle. Moi, même s’il lui manquait des bouts, j’étais super content parce que c’était mon premier poisson et que je l’avais sorti tout seul sans l’aide de personne. Adrien et Patou aussi ils avaient l’air content parce qu’ils m’ont serré la main très fort et ils m’ont dit bravo. Après ils ont eu l’air moins content quand j‘ai remis la ligne à l’eau, qu’elle s’est mise à filer et que le moteur du bateau s’est arrêté. Moi je croyais que j’avais attrapé un gros poisson mais c’était pas un poisson que j’avais attrapé, c’était le moteur du bateau et toute la ligne –trente mètres qu’il y en avait ! - s’était enroulée autour de l’hélice. Patou a déroulé la ligne, elle était un peu abîmée, mais Adrien, qui est drôlement chouette, il ne m’a même pas fâché. Après ça, le soleil s’est levé et on a commencé à voir des oiseaux terribles qui battaient très vite des ailes. Ils sortaient de l’eau, ils volaient juste au-dessus et puis ils retournaient nager dans l’eau. Mais Adrien m’a dit que c’était pas des oiseaux qui nageaient mais des poissons qui volaient, des Exocets que ça s’appelle, en tout cas ils sont très chouettes pour des poissons !

Comme on avait assez de bonites comme ça, Adrien et Patou ont dit que maintenant les choses sérieuses allaient commencer. Et les choses sérieuses c’était : la pêche au requin ! Chez moi les copains ils pêchent dans des flaques des petits poissons avec lesquels on peut même pas remplir une boîte, alors quand je vais leur raconter ça aux copains, ils vont être verts ! Adrien, il a pris une bonite et avec une aiguille, il lui a transpercé la tête pour mettre un gros hameçon. Après ça, la bonite, elle bougeait encore, c’est drôlement vivant une bonite ! Et puis il a tout mis à l’eau : la bonite, l’hameçon et la ligne. Cinq minutes après, la ligne s’est mise à filer drôlement vite. C’était un requin qui avait mangé la bonite et comme il avait pas vu l’hameçon qui était dedans, il l’avait mangé avec et il était resté coincé. Alors on pouvait tirer dessus. Et c’est ce qu’a fait Adrien pendant longtemps et il a réussi à ramener le requin près du bateau mais il se débattait très fort, c’est terrible un requin ! Comme il se débattait encore et qu’on savait pas comment le sortir de l’eau, Adrien m’a dit de tenir la canne à pêche pendant que lui il essayerait de sortir le requin. Il tirait tellement fort sur le fil que j’avais peur de casser la canne. Mais j’ai tenu bon non mais des fois ! Ensuite le requin a commencé à se fatiguer – après une bonne heure- et heureusement parce que moi je finissais de me fatiguer et j’avais mal aux bras à force de tirer sur la canne qui tirait sur le requin. Mais là Adrien qui est très fort, il a réussi à passer un grand crochet –comme ceux que j’ai vus chez moi chez Pierrot le boucher qui est très chouette- dans la gueule du requin qui après ça était beaucoup plus calme. Quand je rentrerai chez moi, même si c’est pas vrai, aux copains je leurs dirai que c’est moi qui l’ai pêché tout seul le requin et avec les mains en plus et ils seront verts les copains ! Après, tous les trois, moi, Patou et Adrien, avec des cordes on a mis le requin dans le bateau et puis on s’est mis de l’autre côté. Moi parce que j’avais un peu peur et puis aussi parce que le requin faisait pencher le bateau tellement il était gros. Ensuite, on est retourné sur la côte au village de Bukura. Sur le chemin du retour, près de la pointe du diable, j’ai vu un énorme poisson tout blanc, plus gros qu’un gros camion, avec des rides sur le front et plein des lances plantées sur son dos. Je l’ai dit à Patou et Adrien mais ils se sont mis à rigoler en disant que j’avais trop d’imagination.

Arrivés sur la plage, on a attaché le bateau derrière la grosse voiture, on a mis les cannes à pêche devant et on est rentré à la ville. En arrivant Adrien a dit qu’il fallait remettre de l’essence dans le bateau. Quand il est revenu de la caisse de la station service, il a dit comme ça qu’en faisant le chèque pour l’essence, il s’était aperçu qu’on était un vendredi treize. Il a dit que pourtant c’était un jour de chance, sauf peut-être pour le chat et le requin.

Et puis juste avant de partir, on a revu le gros bateau terrible qui arrivait avec les monsieurs sans chemises qui mâchaient du chewing-gum. Quand on leurs a montré toutes les bonites, le thon et le requin, ils se sont mis à mâcher leur chewing-gum encore plus vite en disant tout bas qu'eux, ils n’avaient rien pêché. Alors moi j’ai dit comme ça que s’ils n’avaient rien pris c’était peut-être parce qu’ils avaient emmené des bananes avec eux sur le bateau. Adrien et Patou se sont mis à rigoler et ils avaient l’air très content. Ils sont drôlement chouettes Adrien et Patou !

A la manière de (n°1)

Port-Villa

Le 19/12/02

A bord de la Moqueuse

Hier, réception à bord du navire patrouilleur de la Marine nationale La Moqueuse en visite de routine au Vanuatu. Rendez vous 18 h 30, petits fours, coupettes, chapeaux et robes de soirée. Cheveux longs, barbes de cinq jours (mais néanmoins taillée) j’arrive en sandales, en Tshirt et en retard. Le commandant m’accueille dans sa tenue d’apparat, casquette sous le bras et décline divers titres auxquels je ne comprends pas grand chose. Il semble attendre quelque chose en retour… Ah oui : « enchanté moi c’est Nicolas » visiblement ça ne suffit pas… Bon …« je suis l’ami d’Alice qui travaille à l’ambassade » Là c’est bon je fais partie de la famille. Sur ces entrefaites l’ambassadeur arrive pour annoncer au commandant que finalement non il ne fera pas de discours, l’ambiance détendue ne s’y prêtant pas…

D’un pas nonchalant (toujours se munir d’un fidèle pas nonchalant en de telles occasions) je pénètre sur le pont et me dirige vers le gaillard d’arrière. Je croise quelques connaissances, on me présente, je me présente, tu te présentes, il ou elle se présente... On sert les mains bien moins fort que les fesses (surtout ne pas péter !) on rit à demi, on s’ennuie complètement. Cela ruisselle tellement de sourires convenus et d’hypocrisie (« vite appelez un docteur quelqu’un fait une crise d’hypocrisie ! ») qu’il me faut écoper par tous les moyens si l’on ne veut pas couler. Dans cette liesse générale, je décide de prendre les choses en main et tente de transformer cette énième expérience mondaine en gain sociologique inédit. Nous sommes à bord d’un bateau de la glorieuse Royale, ça n’est pas tous les jours, profitons-en ! Je fais sans ménagement irruption dans une conversation de marins avec une sortie imparable du style « Y a des bretons dans l’équipage ? », ça ne rate pas. « Ben ouais, moi j’suis breton de Ploudalmezau, enchanté, Didier Legall ». Sur ce, à moi de justifier mes quartiers de bretonnité : « Moi c’est Nicolas Me.. (ah oui mince, vite trouver une parade).. Me..riadec » Deux trois blagues convenues sur la pluie, le Mont Saint-Michel et ce salaud de Couesnon et hop l’affaire est dans le sac comme la saucisse dans la galette. Les verres commencent à affluer et bientôt Didier me proposera une visite du bateau et du carré des sous-officiers. Ou plutôt il nous proposera, à moi et ma charmante compagne (qui du même coup venait de perdre son intérêt de célibataire potentielle à leurs yeux…) ainsi qu’à trois volontaires de l’enseignement catholique dont deux charmantes jeunes filles fraîchement débarquées et un agaçant jeune fumeur de pipe de la race de ceux qui semble avoir tout compris avant qu’on leur explique.

Et nous voilà partis dans les coursives. Un petit arrêt au carré des sous-officiers, le chef de bar met la musique à fond, le stroboscope et la boule à facette accessoires décidément indispensables à tout tortillement frénétique de hanches occidentales.

Un jeune loup à l’air bravache arbore fièrement les gallons d’un gradé à l’épaulette (Allez Paulette, allez Paulette, allez…). Expédition punitive, ils le foutent à poil et le balance à l’eau.

Avec cet air blafard et glandu mais délicieusement décalé qui n’appartient qu’à ceux dont les cahiers de vacances furent les meilleurs amis d’enfance, un X non encore bicorné fait son stage militaire. Il en profite pour découvrir la vie, le punch et la camaraderie. Euphorisé par l’un des trois, il voudrait me balancer à l’eau également. Mais visiblement le civil a encore droit (pour combien de temps ?) au respect de l’armée française.

Cessez le feu. Nous sortons du carré (d’agneaux doux comme seuls savent l’être les marins en permission) pour visiter le bateau :

Gaillard d’avant, de chaque côté des canons deux panneaux joliment ouvragés arborent les mots que tout militaire se doit d’aboyer fièrement le torse bombé et le doigt sur la couture du pantalon et peut-être aussi les seuls qu’il sait orthographier convenablement :

Honneur, Patrie.

Que du bonheur en perspective cadrant parfaitement avec ce charmant petit relent de pétainisme qui affleure dans le discours de certains officiers.

On arrive au poste de commandement dans la cabine de pilotage où l’énergumène critique et gauchiste laisse pour un temps la place au gamin émerveillé. Puis la Salle des machines nous ouvrent ses écoutilles et le bruit assourdissant de deux moteurs de locomotives amarinés nous incitent rapidement à retourner apaiser âmes et gosiers dans de la bière à boire.

Retour au carré donc où l’on s’installe et où l’on voit défiler la quasi totalité des marins du bateau (j’en ai compté 25 à un moment dans moins de 20 mètres carrés). La goguette que ça s’appelle.

Didier, notre guide sympathique et attentionné, me raconte l’histoire des tabous marins de la bête aux grandes oreilles (les lapins embarqués qui grignotaient le bateau au temps glorieux de la vieille marine en bois d’arbre) et de la corde (celle du nœud coulant que l’on se passe au cou dans les moments de désespoir solitaire) « à bord il n’y a qu’une seule corde, celle de la cloche. »

(Heu, parce qu’il n’y a qu’une seule cloche à bord ?)

Je sors sur le pont prendre l’air avec le jeune de quart (combinaison noire aux bandes réfléchissantes). Un gamin blond aux yeux bleus qui parle de sa femme qui lui manque, des conditions de travail et de cet horrible mal de mer qui le poursuit. La discussion prend un tour intéressant, l’individu perce enfin sous l’uniforme, il parle des syndicats dans la marine belge, de l’admirable discipline de la marine allemande, du bon vieux temps de la Vieille Marine qu’il n’a manifestement pas connu. Sur le pont désert, éclairé par une demie lune, il se confie, j’atteins la compassion quand un officier aussi petit qu’il est saoul arrive. « Garde à vous » fait-il d’un ton sec, l’autre s’exécute puis se relâche et poursuit notre conversation. « Garde à vous » raide comme un piquet « repos » il continue de me parler tournant incessamment son regard vers le petit chef qui sort de l’école navale, tout fraîchement débarqué de la glorieuse circumnavigation de la Jeanne d’Arc. Tout irait trop bien sans ces mille petites vexations quotidiennes qui te rappelle l’armée et la place que tu y tiens, celle d’en dessous (« souviens toi que tu n’es rien »).

Je retourne dans le carré assez échauffé et décide de me mettre au garde à vous à chaque nouvelle entrée. Puis, on finit par sortir les inévitables chants qui résonnent terriblement dans les 20 mètres carrés de la pièce et me donnent presque envie de retourner en salle des machines pour y chercher l’ordre et la beauté, le calme et compagnie

Je prend soudain conscience que la cannette métallique de ma bière résonne de leurs chants graves mais légers. Les bulles de la Kronenbourg s’émoustilleraient-elle en vertu de quelque relation occulte et ancestrale nouée avec la chanson braillarde et le soldat saoul ?

Je m’étonne qu’aussi ivres soient-ils aucun n’ait encore lamentablement maculé son bel uniforme blanc d’une belle grosse tâche de vin rouge. J’en conclus donc avec une certaine satisfaction que l’on sait malgré tout se tenir dans la Royale.

Passées les manifestations convenues d’antimilitarisme bon teint, il me faut avouer avoir côtoyer ce soir là des hommes ouverts, sympathiques et généreux, évoquant toujours la larme à l’œil leur famille restée à Brest… (…la Paimpolaise qui m’attend au pays breton…)

Malgré tout, à mesure que les bières se vident, cela finit par sentir un peu trop la frustration et la misère sexuelle. nous convenons donc que l’expérience sociologique a assez duré.

Ainsi nous échappons-nous poliment et titubant, heureux de retrouver le plancher des hommes et de quitter cette pesante promiscuité (il y avait donc une issue à tout cela). Pas particulièrement fiers d’avoir manqué une soirée avec les ni-vanuatus pour la gaudriole franchouillarde et bidassière mais néanmoins amusés d’avoir partagé le quotidien festif d’une bande de braves gars loin de chez eux.

Sur le quai, un pick-up rempli de militaires nous invite à prolonger la soirée… Nous ne pousserons pas le vice jusqu’à partir en boîte de nuit escorté par la fine fleur (de houblon) de l’armée française.

Boucan

On a forcé la Beauté

Deux chiens trois fois puants

l’ont violée

effroyable effraction

du paradis

Mais la Beauté n’a rien donné

Et ceux-là n’ont rien pris

Qui croyaient la voler

Nul n’est besoin de cierge

La Beauté est debout

Seul un goût de mort éternel

Dans leur gorge maudite

Un poison foudroyant

Dans ce monde et dans l’autre

et dans tous ceux d’après

La Beauté est debout

Profanée mais vierge

Elle sait ses fruits portés

Par les vrais amoureux

Qui savent demander

Séduire et patienter

Caresser doucement

L’espoir qu’elle les regarde

Et de sa grâce immaculée

Les touche.

Nul n’est besoin de cierge

La Beauté est debout

Profanée mais vierge

Elle se relève de tout

Port Violent, janvier 2003

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